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« Loin des clichés racistes… »

Une interview de Paul Nkunzimana au journal La Tribune des travailleurs pour la sortie de son livre Contribution à l’étude de la préhistoire et de l’histoire sociales de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Est (éditions du travail).

Paul Nkunzimana, professeur émérite de l’Université du Burundi.
  • Qu’est-ce qui t’a conduit à engager ce travail ? 
  • Paul Nkunzimana : On sait que lorsque sont évoqués des pays ou des peuples hors de la sphère occidentale, tout un tas de clichés aux relents racistes font surface, puisant dans l’arsenal idéologique ethnocentrique occidental en vogue durant la période de la découverte d’autres cultures et civilisations. Comme je le rappelle dès l’introduction du livre, ce point de vue plutôt attardé s’est institutionnalisé au point qu’un chef d’État d’une nation civilisée comme la France a découvert, au XXIe siècle, que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». La science anthropologique liée à la colonisation a distillé des schèmes (1) pour caractériser ces hommes et les relations entre eux, en utilisant les catégories de « tribus », « ethnies », « castes », « races », « clans », etc. L’aspect le plus caricatural fut la démarche de Jean Hiérnaux qui recourt à l’anthropométrie pour décrire les peuples du Rwanda et du Burundi. Ce médecin-chercheur, dont s’inspira l’administration coloniale belge, s’est attelé à mesurer, auprès de ces populations, la taille, la largeur des narines et du mollet, la dynamométrie de la main gauche, le groupe sanguin, le rythme respiratoire, l’indice cormique (2)! On entend également la « thèse » selon laquelle, en Afrique, l’État et ses institutions (ces «détachements d’hommes en armes » dont parlent Engels et Lénine) auraient été « importés » de l’extérieur. Ce qui fait dire à ces « spécialistes » que ces populations locales, originelles, n’auraient pas eu les aptitudes mentales ou d’organisation requises pour mettre en place de telles institutions centralisées ! Le but de ce livre était donc de saisir scientifiquement ce que sont ces hommes, ces peuples, dans les rapports qu’ils ont entretenus et entretiennent entre eux pour leur existence. N’en déplaise aux idéologues, ces peuples ont leurs préhistoire et histoire spécifiques. 
  • Peux-tu en donner les grands traits ? 
  • P. N. : Dans leur préhistoire, ces sociétés ont connu un mode de production de type communiste dans le cadre des rapports de collaboration et de gestion collective de la vie sociale. Ces peuples ont fabriqué des outils de travail en pierre de plus en plus sophistiqués, de génération en génération, dans la période qui va de 3 millions d’années à 100 000 ans avant notre ère. Il y a un million d’années, ces peuples ont inventé et utilisé le feu, découverte qui interviendra bien plus tard (500 000 ans avant notre ère) en Europe occidentale et en Asie orientale. Avec la production d’un surplus social, une classe sociale nobiliaire se constitue en s’en appropriant le contrôle, et celui de l’essentiel des moyens de production. Dans toute la région, les classes sociales en présence ne se confondent pas avec ethnies, castes, spécialisations professionnelles ou groupes claniques… mais sont de véritables groupes sociaux se distinguant par la place qu’ils occupent dans les rapports de production. Dans ces sociétés, on trouve, d’une part, les propriétaires des moyens de production, c’est-à-dire essentiellement la terre et le bétail (la vache) et, d’autre part, les producteurs, agriculteurs et éleveurs. Les classes nobiliaires ont commencé à bâtir des États centralisés, par exemple les royaumes Kongo, Luba, Lunda, Burundi, Rwanda, Nyuro, Nkore, Buganda, Nandi, Luo, Sukuma. Certains, comme ceux du Kongo, Luba et Lunda, vont prospérer pendant un temps, grâce à la traite des esclaves, avant de s’effondrer au profit de nouvelles entités. Notre étude aborde ensuite les processus de développement du capitalisme, qui ne s’est pas implanté dans la région comme un processus achevé. À travers la traite des esclaves et le pillage des ressources et richesses, l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs a contribué à l’accumulation primitive du capital et au développement du capitalisme en Europe occidentale et en Amérique du Nord. 
  • Quels éclairages ton livre apporte t-il sur les développements actuels de l’Afrique ? 
  • P. N. : Les développements actuels dans la région des Grands Lacs illustrent pleinement l’impasse du mode de production capitaliste. Dès avant la Conférence de Berlin (1884-1885), et jusqu’à nos jours, elle n’a cessé d’être le théâtre du pillage des richesses, des affrontements entre grandes puissances, et entre multinationales. À la Conférence de Berlin, le vaste et riche Congo devient la propriété personnelle du roi des Belges, Léopold II (qui le cédera à la Belgique en 1908). À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’impérialisme allemand vaincu est chassé de ses colonies que se partagent la Belgique qui hérite du Rwanda et du Burundi, alors que le Tanganyika est attribué à la Grande-Bretagne par la « Conférence de paix » de Versailles, en 1919. Ces accords entre impérialismes seront maintenus par les conférences de Yalta et Potsdam en 1945, auxquelles participe la bureaucratie du Kremlin pour le compte de la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme. Aujourd’hui, tous les pays de la région subissent les plans dévastateurs appelés programmes d’ajustement structurel (PAS) de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international soutenus par l’Union européenne. Ces institutions imposent aux gouvernements des politiques de privatisation et de remboursement de la dette externe qui ont littéralement déchiqueté ces pays. Prenons le cas de la République démocratique du Congo, pays qui s’étend sur plus de 2,3 millions de km2 (soit 3,64 fois la France ou 77 fois la Belgique, l’ancienne puissance tutélaire), les réserves minières connues en 2009 s’évaluent à 20 milliards de tonnes de manganèse, 110 millions de tonnes de cuivre, 730 millions de tonnes de carats de diamants, 10,5 millions de tonnes de cobalt… Ces ressources sont pillées et drainées par plus de 85 multinationales (notamment américaines) recensées en 2016. Pour garantir leur pillage, ces multinationales sont à l’origine de la constitution de pas moins de quatre-vingts milices et groupes armés qui sèment la terreur et la mort : les effets directs et indirects des guerres de pillage auraient provoqué plus de 3 millions de morts ! Pour maquiller sa responsabilité, le capital et ses institutions affirment que ces guerres et tueries sont des guerres « ethniques » ou « tribales », résultats de différends communautaires, par exemple entre Hutus et Tutsis au Rwanda et au Burundi. Ces guerres de décomposition et de dislocation au compte du capital ont d’ailleurs souvent lieu en présence des troupes impérialistes, comme ce fut le cas pour le génocide anti-tutsis (1 million de victimes), au Rwanda en 1994, sous les yeux des troupes françaises en mission pour les Nations unies (la Minuar). 
  • Qui dit classes sociales dit aussi lutte de classes ? 
  • P. N. : Tous ces pays de la région des Grands Lacs et de l’Est sont traversés par des luttes de classes unifiant les travailleurs, les paysans et les jeunes sur le terrain social et démocratique. Résistance qui s’est développée dès la période coloniale, comme la rébellion historique du mouvement Mau-Mau au Kenya, pour bouter dehors les colons anglais. Aujourd’hui, les mouvements de résistance se développent contre les conséquences désastreuses des programmes d’ajustement structurel, pour la défense des salaires et des conventions de l’OIT (3) que pourtant les gouvernements de ces pays ont ratifiées. Le drame de ces pays se concentre dans leur soumission à l’impérialisme. Le livre revient donc sur les différents obstacles auxquels se sont heurtées les mobilisations ouvrières et populaires pour la souveraineté de la nation. Obstacles représentés tant par la politique des organisations nationalistes petites-bourgeoises qui ont dévoyé le mouvement sur le terrain des indépendances formelles, que par des regroupements politiques divers se drapant d’oripeaux ethniques et/ou régionalistes. La préservation des travailleurs, des paysans et des jeunes, la préservation de la paix exige la rupture avec l’impérialisme, l’élection d’Assemblées constituantes souveraines dans chaque pays pour la réalisation des aspirations sociales, nationales et démocratiques, pour l’union libre des peuples libres de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Est. 

Propos recueillis par André Yon pour la Tribune des travailleurs

  • (1) « Ensemble de concepts permettant de se faire une image de la réalité en résumant les éléments disparates de cette réalité à l’aide d’instruments fournis par la raison » (Larousse).
  • (2) Indice permettant de déterminer l’aptitude de tel individu à pratiquer telle ou telle activité sportive ; il s’agit d’un rapport taille assise/taille debout. 
  • (3) Organisation internationale du travail.
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Contribution à l’étude de la préhistoire et de l’histoire sociales de l’Afrique des Grands lacs et de l’Est

Paul Nkunzimana, professeur émérite de l’Université du Burundi, auteur de « Contribution à l’étude de la préhistoire et de l’histoire sociales de l’Afrique des Grands lacs et de l’Est » a tenu une conférence au Québec le 12 mai 2019. Lire : presse de gauche. org

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Lorenzo Varaldo – « L’école renversée » – prend la parole lors d’une assemblée du « manifeste pour une école qui instruise »

Lorenzo Varaldo présente ici son livre, « l’école renversée », lors d’une assemblée rassemblant, le 26 janvier 2019, enseignants et parents à l’initiative du « manifeste pour une école qui instruise » et de nombreuses personnalités et associations sur le thème « combattre ensemble la politique actuelle du gouvernement de destruction de l’école publique ».